+†+Yesus Kristus azu+†+

« Il n’est pour l’âme aliment plus suave que la connaissance de la vérité » (Lactance)

Tertullien sur l’infaillibilité de la Tradition

Notre dossier sur le « sola scriptura » et la Tradition : ici

Tertullien (vers 155-vers 230) est un témoin de premier plan lorsqu’il est question de l’autorité de la Tradition divine dans les premiers siècles. Il remarque que si on devait supposer que l’enseignement des apôtres se soit partout perdu, il aurait été impossible que l’erreur qui en aurait été la conséquence soit la même par toute la terre. Or les Eglises du monde entier prêchent la même doctrine, donc cela leur vient d’une Tradition enseignée partout par les apôtres, et protégée partout par l’Esprit Saint. Pour lui, il est vain de recourir aux Ecritures pour contredire la foi de l’Eglise universelle, car ce ne sont pas les Ecritures qui ont formés les Eglises, au contraire, ce sont les Eglises qui ont suscité la rédaction des Ecritures du Nouveau Testament. Aussi nous dit-il que c’est la foi de l’Eglise universelle qui interprète infailliblement l’Ecriture Sainte, et que toute contradiction entre les deux ne saurait être autre chose qu’une erreur de la part de celui qui croit les voir. Cette transmission infaillible de la vérité est faite selon lui par les Evêques, et ce de droit divin. Il va de soi qu’il n’entend pas dire par-là que tous les Evêques sont infaillible individuellement, c’est l’évidence-même, car déjà à son époque des Evêques non-hérétiques pouvaient avoir des opinions divergentes sur certains sujets. Mais il s’agit du consensus moral des Evêques, ce que la théologie catholique appelle le magistère ordinaire-universel.

Tertullien dans son oeuvre De la couronne du soldat, Tertullien évoque la prière pour les morts, et d’autres pratiques, n’ayant pas de fondement dans l’Ecriture Sainte. Outre le fait qu’il ait tort (peut-être ne reconnaissait-il pas l’inspiration de II Machabées), cela prouve qu’il ne croyait pas en la doctrine du « sola scriptura » et qu’il croyait au contraire en l’autorité de la Tradition. Laissons la parole à Tertullien :

« II. […]  ma part, j’aime cette foi qui a cru qu’il fallait pratiquer avant de savoir. Demander d’abord où il est écrit que nous ne devons pas porter de couronne, c’est chose facile. Mais où est-il écrit que nous devons en porter? Ceux qui réclament l’autorité de l’Ecriture pour l’opinion qu’ils rejettent, décident d’avance que l’autorité de l’Ecriture doit venir également en aide à l’opinion qu’ils défendent, Car si vous arguez du silence de l’Ecriture qu’il est permis de porter une couronne, on retournera l’argument contre vous, en disant qu’il n’est pas permis de porter une couronne, parce que l’Ecriture ne l’ordonne pas. Que fera la discipline? Recevra-t-elle l’un et l’autre comme non défendus? Rejettera-t-elle l’un et l’autre comme non ordonnés? —- Mais ce qui n’est point prohibé est permis de soi-même, diras-tu.—- Loin de là, ce qui n’est pas expressément permis, est prohibé.

III. Jusques à quand mènerons-nous et ramènerons-nous la scie par cette ligne, puisque nous avons l’observance ancienne qui, par son antériorité, fait loi. Si l’Ecriture ne l’a point déterminée, toujours est-il que la coutume, qui sans doute est provenue de la tradition, la fortifie: en effet, comment l’usage s’établirait-il s’il n’avait sa source dans la tradition? Tu me diras encore que pour valider la tradition il faut une autorité écrite. Examinons donc si on ne doit admettre de tradition que celle qui est écrite. Nous affirmerons volontiers qu’il ne faut pas la recevoir, si elle n’a en sa faveur le préjugé d’autres institutions que nous maintenons sans pouvoir alléguer aucun texte de l’Ecriture, à titre seul de tradition, et sur l’autorité de la coutume. Pour commencer par le baptême, avant de descendre dans l’eau, sur le lieu, et un peu avant l’église, nous jurons, sous la main du pontife, que nous renonçons à Satan, à ses pompes et à ses anges; ensuite nous sommes plongés trois fois, répondant quelque chose de plus que le Seigneur n’a précisé dans son Evangile. Au sortir de là, nous goûtons pour la première fois la concorde du lait et du miel; à dater de ce jour, nous nous abstenons du bain quotidien toute la semaine. Nous recevons le Sacrement de l’Eucharistie dans des assemblées qui ont lieu avant le jour, et seulement de la main de ceux qui président, quoique le Seigneur l’ait confié à tous et à l’heure du repas. Nous faisons annuellement des oblations pour les défunts et pour les nativités des martyrs. Nous regardons comme inconvenant de jeûner le jour du Seigneur et de prier à genoux. Nous jouissons de la même immunité depuis le jour de Pâques jusqu’à la Pentecôte. Que quelque chose de notre calice, ou de notre pain tombe à terre, nous le souffrons avec douleur. S’agit-il de nous mettre en voyage ou de marcher, d’entrer ou de sortir, de nous habiller, de nous chausser, de descendre au bain, de nous mettre à table, de prendre de la lumière, de nous asseoir, ou d’entrer au lit, quelque chose que nous fassions, nous marquons notre front du signe de la croix.

IV. Demande-moi un témoignage des Ecritures en faveur de ces institutions et de mille autres semblables, tu n’en trouveras aucun. Mais on mettra en avant la tradition qui les consacre, la coutume qui les confirme, la foi qui les observe. Puis tu apprendras de toi-même, ou de la bouche de celui qui l’aura découverte, la raison sur laquelle reposent la tradition, la coutume et la foi: en attendant, tu croiras qu’il y a certaines lois non écrites auxquelles tu dois te soumettre. J’ajouterai encore un autre exemple, d’autant plus qu’il convient d’enseigner avec les exemples de l’antiquité. Chez les Juifs, c’est chose si ordinaire à leurs femmes d’avoir la tête voilée, qu’elles sont connues par là. Où en est la loi, je le demande? Car j’ajourne les interprétations de l’Apôtre. Si Rébecca, en découvrant de loin son fiancé, baissa soudain son voile, la pudeur virginale d’une femme n’a pu faire loi, ou bien elle n’a pu le faire que dans sa propre cause. Que les vierges seules se voilent, et encore quand elles vont se marier, mais non avant de connaître leurs fiancés. Si Suzanne elle-même, dépouillée de son voile dans le jugement, sert de preuve qu’il faut se voiler, je puis dire qu’elle se voila volontairement dans cette circonstance: elle se présentait comme accusée, rougissant de l’infamie qu’on lui prêtait, et cachait, avec raison, sa beauté, parce qu’elle craignait de plaire. D’ailleurs, je ne crois pas que sous les portiques de son époux elle se promenât voilée, puisqu’elle plut aux vieillards. Eh bien! elle a toujours été voilée, d’accord: je demande quelle a été pour elle ou pour toute autre la loi qui le voulait ainsi? Si je ne trouve aucune loi nulle part, il s’ensuit que c’est la tradition qui donna à la coutume cet usage, qui devait un jour avoir pour lui l’autorité de l’Apôtre dans l’interprétation de son motif. Il sera donc manifeste par ces exemples, qu’une tradition non écrite et confirmée par la coutume, fidèle témoin que c’est une tradition approuvée et se justifiant par la continuation de soi-même, peut se défendre et se maintenir dans l’observance. La coutume elle-même, dans l’absence de la loi, est reçue pour loi dans les choses civiles. Qu’elle repose sur une Ecriture, ou sur la raison, il n’importe, puisque la loi elle-même n’a d’autre fondement que la raison. Or, si la loi réside dans la raison, tout ce qui réside dans la raison sera loi, quel qu’en soit l’auteur. » (De la couronne du soldat, II-IV)

Il explique aussi beaucoup plus amplement l’économie de la foi dans son célèbre traité De la prescription contre les hérétiques, chapitres XIV à XXXVII (PL, 2/30-51), dont nous reproduisons ici le texte :

Division du sujet.   XIX. [1] Il ne faut donc pas en appeler aux Ecritures ; il ne faut pas porter le combat sur un terrain où la victoire est nulle, incertaine ou peu sûre. [2] Ces confrontations de textes n’eussent-elles point pour résultat de mettre sur le même pied les deux parties en présence, encore l’ordre naturel des choses voudrait-il qu’on posât d’abord cette question qui présentement est la seule que nous ayons à discuter : « A qui ‘attribuer la foi elle-même, celle à laquelle se rapportent les Écritures’ ? Par qui, par l’intermédiaire de qui, quand et à qui la doctrine qui nous fait chrétiens est-elle parvenue ? [3] Là où il apparaîtra que réside la vérité de la doctrine et de la foi chrétienne, là seront aussi les vraies Écritures, les vraies interprétations et toutes les vraies traditions chrétiennes.

Les Églises dépositaires de la foi.    XX. [1] Le Christ Jésus, Notre Seigneur — qu’il me permette de m’exprimer ainsi dépositaires un moment — quel qu’il soit, de quelque Dieu qu’il soit le fais, de quelque matière qu’il ait été formé homme et Dieu tout ensemble, quelque foi qu’il enseigne, quelque récompense qu’il promette, [2] déclarait lui-même pendant son séjour sur la terre ce qu’il était, ce qu’il avait été, de quelles volontés paternelles il était chargé, quels devoirs il prescrivait à l’homme, et cela soit en public, devant le peuple, soit dans des instructions privées à ses disciples, parmi lesquels il en avait choisi douze principaux pour vivre à ses côtés et pour être plus tard les docteurs des nations. [3] L’un d’eux ayant été chassé, il ordonna aux onze autres, au moment de retourner vers son Père; après la résurrection, d’aller enseigner les nations et de les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. [4] En conséquence, les apôtres (ce terme signifie « envoyés ») choisirent aussitôt, par la voie du sort, un douzième apôtre, Mathias, à la place de Judas, selon l’autorité de la prophétie qui apparaît dans le psaume de David. Ils reçurent la force promise de l’Esprit Saint qui leur donna le don des miracles et des langues. Ce fut d’abord en Judée qu’ils établirent la foi en Jésus-Christ et qu’ils installèrent des Eglises. Puis ils partirent à travers le monde, et annoncèrent aux nations la même doctrine et la même foi. [5] Dans chaque cité ils fondèrent des Églises auxquelles dès ce moment les autres Églises empruntèrent la bouture de la foi, la semence de la doctrine, et l’empruntent tous les jours pour devenir elles-mêmes des Églises.

[6] Et par cela même, elles seront considérées comme apostoliques, en tant que ‘rejetons’ des Églises apostoliques. [7] Toute chose doit nécessairement être caractérisée d’après son origine. C’est pourquoi ces Églises, si nombreuses et si grandes soient-elles, ne sont que cette primitive Église apostolique dont elle procèdent toutes. [8] Elles sont toutes primitives, toutes apostoliques, puisque toutes sont une. ‘ Pour attester cette unité ‘ elles se communiquent réciproquement la paix, ‘elles échangent le nom de frères, elles se rendent mutuellement les devoirs de l’hospitalité’ : [9] tous droits qu’aucune autre loi ne réglemente que l’unique tradition d’un même mystère.

Deux prescriptions contre les hérétiques.   XXI. [1] De ces faits, voici la prescription que nous dégageons. Du moment que Jésus-Christ, Notre Seigneur, a envoyé les apôtres prêcher, il ne faut donc point accueillir d’autres prédicateurs que ceux que le Christ a institués. [2] Car nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils l’a révélé. Or ‘l’on ne voit pas que le Christ l’ait révélé’ à d’autres qu’aux apôtres qu’il a envoyés prêcher — prêcher ce que, bien entendu, il leur avait révélé. [3] Mais quelle était la matière de leur prédication, autrement dit, qu’est-ce que le Christ leur avait révélé ? Ici encore j’élève cette prescription que, pour le savoir, il faut nécessairement s’adresser à ces mêmes Eglises que les apôtres ont fondées en personne, et qu’ils ont eux-mêmes instruites, tant de « vive voix », comme on dit, que, plus tard, par lettres.

[4] Dans ces conditions, il est clair que toute doctrine qui est en accord avec celle de ces Églises, matrices et sources de la foi, doit être considérée comme vraie, puisqu’elle contient évidemment ce que les Églises ont reçu des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu. [5] Par contre, toute doctrine doit être a priori jugée ‘comme venant du mensonge’ qui contredit la vérité des Églises des apôtres, du Christ et de Dieu. [6] Reste donc à démontrer que cette doctrine, qui est la nôtre, et dont nous avons plus haut formulé la règle, procède de la tradition des apôtres, et que, par le fait même, les autres viennent du mensonge. [7] Nous sommes en communion avec les Églises apostoliques, parce que notre doctrine ne diffère en rien de la leur : c’est là le signe de la vérité.

Les apôtres n’ont-ils pas tout su?    XXII. [1] La preuve en est si facile qu’aussitôt mise en lumière elle ne n’ont-ils souffre plus de réplique. Faisons comme si nous ne l’avions pas exposée et permettons à nos adversaires de produire les arguments par où ils pensent pouvoir annuler cette prescription. [2] Ils ont coutume de dire que les apôtres n’ont pas tout su ; puis, poussés par le même esprit de démence, ils font volte-face et déclarent que les apôtres ont tout su, mais qu’ils n’ont pas tout enseigné à tous. Dans les deux cas, c’est au Christ qu’ils infligent un blâme, pour avoir envoyé des apôtres ou trop peu instruits ou d’esprit trop subtil

[3] Quel est l’homme sensé qui croira qu’ils aient ignoré quelque chose, ceux que le Christ établit comme maîtres, qui furent ses compagnons, ses disciples, ses familiers ? eux à qui il expliquait dans le privé toutes les obscurités, leur disant qu’il leur était donné de connaître des secrets que le peuple n’avait pas le droit de connaître. [4] Pierre aurait ignoré quelque chose, lui qui fut appelé la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée, qui reçut les clefs du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier dans les cieux et sur la terre? [5] Jean aurait ignoré quelque chose, lui, le disciple préféré du Seigneur, lui qui dormit sur sa poitrine, le seul à qui le Seigneur ait désigné Judas comme le futur traître, lui qu’il recommanda à Marie pour lui tenir lieu de fils à sa place ? [6] Que voulut-il qu’ils ignorassent, ceux à qui il fit connaître sa gloire, et Moïse et Élie et la voix du Père du haut du ciel ? Non qu’il fit peu de cas des autres apôtres, mais parce que « toute parole doit reposer sur l’affirmation de trois témoins ». [7] Ils ignorèrent donc aussi, ceux à qui, après sa résurrection, il daigna expliquer en chemin toutes les Écritures ?

[8] Il est vrai qu’il avait dit un jour : « J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pourriez les supporter maintenant. » [9] Il ajouta cependant : « Lorsque sera venu l’Esprit de vérité, il vous conduira lui-même à toute vérité. » Par là-même, il montre que ceux-là n’ont rien ignoré à qui il promettait la possession de toute vérité, grâce à l’entremise de l’Esprit de vérité. [10] Et il remplit sa promesse puisque les Actes des Apôtres attestent la descente de l’Esprit Saint. [11] Ceux qui ne reçoivent pas ce livre ne peuvent appartenir au Saint-Esprit, puisqu’ils ne peuvent pas reconnaître que l’Esprit ait été déjà envoyé aux disciples, ni non plus défendre l’Église, puisqu’ils ne sauraient prouver à quel moment ni dans quel berceau ce corps s’est développé. [12] Ils aiment encore mieux ne pas avoir de preuves des idées qu’ils défendent que de disqualifier, en admettant ces preuves, les mensonges qu’ils font.

Conflit d’Antioche.   XXIII. [1] Ils mettent donc en avant, pour incriminer « l’ignorance » des apôtres, se fait que Pierre et ceux qui l’accompagnaient furent repris par Paul. [2] « Tant il est vrai, disent-ils, qu’il leur a manqué quelque chose. » Et ils en concluent qu’une science plus complète pouvait leur venir encore, telle que Paul l’eut en effet quand il critiqua ses prédécesseurs dans l’apostolat.

[3] Je pourrais répondre ici à ces gens qui rejettent les Actes des Apôtres : « Montrez-moi d’abord quel est ce Paul, ce qu’il était avant d’être apôtre et comment il le devint », puisqu’en d’autres questions, ils font de lui si grand usage. [4] Il est vrai qu’il nous dit lui-même qu’il devint de persécuteur apôtre. Mais pour quiconque ne croit qu’après mûr examen, cela ne suffit pas : le Seigneur lui-même n’a point porté témoignage sur soi.

[5] Mais soit ! qu’ils croient sans les Ecritures pour croire contre les Ecritures. Au moins qu’ils nous montrent d’après ce blâme de Pierre par Paul, dont ils font état, que Paul ajouta un nouvel Évangile à celui que Pierre et tous les autres avaient déjà annoncé. [6] La vérité, c’est que devenu de persécuteur prédicateur, Paul est présenté aux frères par les frères comme un frère : je dis à ceux et par ceux qui avaient reçu leur foi des apôtres. [7] Puis, ainsi qu’il le raconte lui-même, il monta à Jérusalem pour faire connaissance avec Pierre, comme c’était son devoir et son droit, puisqu’il participait à la même foi et à la même prédication. [8] Ils ne se seraient pas étonnés qu’il fût devenu de persécuteur prédicateur, s’il avait annoncé une doctrine contraire à la leur ; ils n’auraient pas en outre glorifié le Seigneur de ce que Paul, son ennemi, était venu à lui. [9] Aussi lui donnèrent-ils la main droite en signe de concorde et d’union. Ils réglèrent le partage des fonctions, mais sans diviser l’évangile : il ne s’agissait point de prêcher chacun un évangile différent, mais d’annoncer le même évangile aux différents groupes, Pierre aux circoncis, Paul aux gentils. [10] Au surplus, si Pierre fut blâmé de ce qu’après avoir vécu avec les païens, il se séparait d’eux et faisait acception de personnes, ce fut là une faute de conduite et non une faute d’enseignement. [11] Il n’annonçait pas pour cela un autre Dieu que le Créateur, un autre Christ que le Christ né de Marie, une autre espérance que celle de la résurrection.

La vision de Paul au troisième ciel.   XXIV. [1] Je n’ai pas la bonne fortune ou, pour mieux dire, je n’ai point la mauvaise fortune de mettre les apôtres en conflit. [2] Mais puisque ces pervers tirent prétexte de cette réprimande de Paul pour rendre suspecte la doctrine prêchée avant lui, je répondrai, comme si je plaidais pour Pierre, que Paul a dit lui-même « qu’il s’était fait tout à tous, juif pour les juifs, non juif pour les non-juifs, afin de les gagner tous ». [3] Tant il est vrai qu’ils critiquaient, eu égard aux temps, aux personnes, aux espèces, certaines pratiques qu’ils se permettaient eux-mêmes en tenant compte des temps, des personnes et des espèces. C’est comme si Pierre avait critiqué Paul de ce que, tout en prohibant la circoncision, il avait circoncis lui-même Timothée. [4] Qu’ils y prennent garde, ceux qui se permettent de juger les apôtres ! Il est heureux que Pierre et Paul aient été mis sur le même pied dans la gloire du martyre.

[5] Mais Paul a eu beau être ravi jusqu’au troisième ciel et transporté au paradis, y avoir entendu certaines révélations, ces révélations n’ont pu apporter à sa doctrine un supplément qui la modifiât, puisqu’elles étaient de telle nature qu’elles ne devaient être communiquées à personne. [6] Si ces mystères ont transpiré et que quelque hérésie prétende y trouver sa loi, c’est donc que Paul est coupable d’avoir violé le secret ; ou bien qu’on nous montre un autre homme qui ait été enlevé après lui au paradis et qui ait reçu l’autorisation d’exposer ce que Paul reçut défense de dire même tout bas.

Une doctrine secrète ?   XXV. [1] Mais, comme nous l’avons observe, c’est une égale folie de reconnaître d’une part que les apôtres n ont rien ignoré, qu’ils n’ont rien prêché de contradictoire, et d’autre part de vouloir pourtant qu’ils n’aient pas révélé à tous ce qu’ils savaient, [2] qu’ils aient annoncé certaines choses en public pour tout le monde, et qu’ils en aient confié d’autres secrètement à un petit nombre. Cela, parce que Paul s’est servi du mot suivant en s’adressant à Timothée : « O Timothée, garde le dépôt », et encore : « Conserve le précieux dépôt. » [3] Quel est ce dépôt? Est-il ‘secret’ en sorte qu’on doive le croire constitué par quelque doctrine ‘étrangère’ ? [4] Ou ne fait-il pas plutôt partie de cette recommandation dont il dit : « Je te confie cette recommandation, mon cher fils Timothée », [5] et de ce précepte dont il dit : « Je te recommande, devant Dieu qui vivifie toutes choses et devant le Christ Jésus qui a rendu sous Ponce-Pilate un excellent témoignage, de garder le précepte. »  [6] Mais quel est ce précepte ? Quelle est cette recommandation ? On voit d’après le contexte qu’il n’y a là aucune allusion voilée à une doctrine secrète, mais que bien plutôt l’apôtre insiste sur l’obligation de n’en point admettre d’autre en dehors de celle que Timothée avait apprise de lui, et je suppose, comme il le dit, « devant un bon nombre de témoins ». [7] Si par ce bon nombre de témoins on ne veut pas entendre l’Église, peu importe ; en tous cas, ce qui est articulé devant un grand nombre de témoins ne saurait passer pour secret. [8] Et de ce que Paul veut que Timothée confie « ces choses à des hommes fidèles » qui soient « capables de les enseigner aussi à d’autres», on n’en peut tirer aucune preuve pour l’existence de quelque évangile occulte. [9] Puisqu’il dit « ces choses-ci », c’est donc qu’il parle de ce qu’il écrivait au moment même ; s’il avait parlé de choses mystérieuses, il aurait dit comme faisant allusion à des choses absentes, connues d’eux seuls, « ces choses-là ».

XXVI. [1] En outre, il était logique qu’à celui auquel il confiait le ministère de l’Évangile, il recommandât de s’en acquitter avec suite et prudence, selon la parole du Seigneur (ordonnant) de ne pas jeter les perles aux pourceaux ni aux chiens les choses saintes. [2] Le Seigneur a parlé publiquement et n’a jamais fait allusion à une doctrine secrète. Lui-même avait enjoint (à ses disciples) de prêcher au grand jour et sur les toits ce qu’ils auraient entendu dans l’obscurité et dans le secret. [3] Lui-même, dans une parabole, avait d’avance fait entendre qu’ils ne devaient point serrer dans une cachette une seule mine — c’est-à-dire une seule de ses paroles — sans la faire fructifier. [4] Lui-même montrait qu’on ne met point ordinairement la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier pour éclairer tous ceux qui sont dans la maison. [5] De tout cela, les apôtres n’ont tenu aucun compte ou bien ils n’y ont rien compris, si, loin de s’y conformer, ils ont caché quelque chose de la lumière, c’est-à-dire de la parole de Dieu et de la doctrine du Christ.

[6] Ils ne craignaient personne, que je sache, ni les violences des juifs, ni celles des païens : ils devaient parler d’autant plus librement dans l’église, eux qui ne se taisaient pas même dans les synagogues et les lieux publics. [7] Bien plus, ils n’auraient pu ni convertir les juifs ni gagner les païens, s’ils n’avaient méthodiquement exposé ce qu’ils voulaient leur faire croire. [8] A plus forte raison n’eussent-ils pas soustrait quelque chose aux Églises déjà en possession de leur foi, pour le confier en particulier à un petit nombre de privilégiés. [9] Même en supposant qu’ils eussent entre intimes, pour ainsi dire, quelques entretiens, on ne doit pas croire qu’ils surajoutassent alors une autre règle de foi, différente de celle et contraire à celle que ‘les Églises catholiques’ proclamaient publiquement, [10] ni qu’ils prêchassent un Dieu dans l’église, un autre chez eux ; ni qu’ils attribuassent au Christ telle substance en public, telle autre en secret ; ni qu’ils annonçassent devant tous telle espérance de résurrection et telle autre devant le petit nombre. [11] ‘N’enjoignaient-ils pas à tous, dans leurs épîtres ‘, de tenir un seul et même langage, de ne souffrir ni schismes ni dissensions dans l’Église, étant donné que Paul comme les autres apôtres enseignaient la même chose ? [12] Ils se souvenaient d’ailleurs de ces paroles : « Que votre langage soit : oui, oui ; non, non. Car ce qui est en plus vient du démon » ; et cela leur interdisait de traiter l’Évangile de différentes façons.

Les Églises ont-elles mal compris?   XXVII. [1] Il n’est donc pas croyable que les apôtres n aient pas possède dans sa plénitude la doctrine qu’il s’annonçaient ou n aient pas livre a tous la règle de foi tout entière. Voyons si, ‘par hasard’, tandis que les apôtres l’annonçaient ‘dans sa pureté et son intégrité’, les Églises l’ont reçue par leur propre faute autrement que les apôtres ne l’enseignaient. [2] Ce sont là, on le sait, les aiguillons dont les hérétiques excitent nos humeurs de scrupule. [3] Ils tirent parti des réprimandes que l’apôtre adresse aux Eglises : « O Galâtes insensés ! Qui vous a ensorcelés ? ». « Vous couriez si bien, qui vous a arrêtés ? » Et au début même : « Je m’étonne que si vite vous abandonniez celui qui par grâce vous a appelés, pour passer à un autre évangile ». [4] De même Paul écrit aux Corinthiens qu’ils sont encore charnels et qu’ils ont besoin d’être encore nourris de lait, étant incapables de recevoir une nourriture plus forte — eux qui croient savoir quelque chose, alors qu’ils ne savent même pas comment il faut savoir. [5] Lorsqu’ils nous objectent que les Églises ont été réprimandées, qu’ils croient du moins qu’elles se sont corrigées ! [6] Qu’ils se souviennent aussi de ces Églises que l’apôtre félicite pour leur foi, leur science, leur conduite, en rendant grâce à Dieu, et qui aujourd’hui sont unies dans les privilèges d’une même doctrine avec celles qui furent alors reprises.

Le Saint-Esprit assiste l’Eglise.    XXVIII. [1] Eh bien, admettons-le : ‘toutes sont tombées dans l’erreur ; l’apôtre s’est trompe en rendant témoignage ‘ à certaines d’entre elles’. L’Esprit Saint n’a veillé sur aucune pour la conduire à la vérité, lui qui avait été envoyé par le Christ et demandé au Père pour être le docteur de la vérité ; lui, l’intendant de Dieu, le vicaire du Christ, il a négligé ses devoirs, il a permis que parfois les Églises comprissent différemment, crussent différemment la doctrine que lui-même prêchait par les apôtres. Mais est-il vraisemblable que tant d’Églises si importantes aient erré pour se rencontrer finalement dans la même foi ? [2] Tant de démarches multiples ne sauraient aboutir à la même issue ; l’erreur doctrinale des Églises aurait certainement pris des formes diverses. [3] Au surplus ce qui se retrouve identique chez un grand nombre ne vient pas de l’erreur, mais de la tradition. [4] Qu’on ose donc dire que ceux qui ont légué la tradition ont pu se tromper !

Priorité de la vérité sur l’erreur.   XXIX. [1] De quelque manière que l’erreur se soit produite, l’erreur a donc règne aussi longtemps qu’il n’y a pas eu d’hérésie. [2] Pour être libérée, la vérité attendait les marcionites et les valentiniens. [3] En attendant, fautive était la prédication de l’Évangile, fautive la foi, fautifs tant de milliers de milliers de baptêmes, fautives tant d’œuvres de foi, fautifs tant de miracles, tant de charismes, tant de sacerdoces, tant de ministères, fautifs enfin tant de martyres couronnés ! [4] Ou si tout cela n’était point fautif ni fait en vain, comment expliquer que les choses de Dieu eussent cours avant qu’on sût à quel Dieu elles appartenaient ? Qu’il y ait eu des chrétiens avant que le Christ eût été trouvé ? Que l’hérésie ait existé avant la vraie doctrine ? [5] Mais en toutes choses la vérité vient avant l’image : c’est après coup que l’image lui succède! [6] Au surplus, il serait absurde ‘que la doctrine originelle soit considérée comme l’hérésie, alors que c’est elle qui prédisait les hérésies futures pour nous mettre en garde contre elles’. [7] C’est à l’Église, dépositaire de cette doctrine, qu’il est écrit… disons mieux, c’est cette doctrine elle-même qui écrit à son Église : « Quand bien même un ange descendrait du ciel pour vous prêcher un autre évangile que le nôtre, qu’il soit anathème. »

Origine récente des hérésies. XXX. [1] Où était alors Marcion, le pilote du Pont, si zélé pour le stoïcisme? Où était Valentin, le disciple du platonisme ? [2] On sait qu’ils ne sont pas tellement anciens : ils vécurent à peu près sous le règne d’Antonin. Ils crurent d’abord à la doctrine de l’Église catholique dans l’Église romaine sous l’épiscopat du bienheureux Eleuthère, jusqu’au jour où leur curiosité toujours inquiète, par où ils corrompaient leurs frères mêmes, les en fit expulser par deux fois, Marcion avec les deux cent mille sesterces qu’il avait apportés à l’Église. Puis, exilés dans une séparation perpétuelle, ils dispersèrent le venin de leurs doctrines. [3] Enfin, Marcion, ayant confessé son repentir, accepta la condition ‘qui lui fut imposée pour recevoir la paix ecclésiastique’, à savoir de restituer à l’Église ceux qu’il avait, par ses leçons, entraînés à leur perte. Mais la mort ne lui en laissa pas le temps.

[4] C’est qu’il fallait qu’il y eût des hérésies. De cette nécessité n’allons pas inférer que l’hérésie soit un bien — comme s’il ne fallait pas que le mal existât aussi ! Ne fallait-il pas que le Seigneur fût trahi ? Et cependant malheur au traître ! Que personne n’aille donc tirer de là une justification de l’hérésie.

[5] Il faut dire encore un mot de l’origine d’Apelle. Il n’est pas lui-même aussi ancien que Marcion, son maître, de qui il reçut sa formation. Une femme fut l’occasion de sa chute ; il déserta la continence marcionite et, loin des yeux de son chaste maître, il se retira à Alexandrie. [6] Quelques années après il revint, sans s’être amélioré, à cela près qu’il n’était plus marcionite. Il s’attacha à une autre femme : c’était cette fameuse vierge Philoumène dont nous avons déjà fait mention et qui devint ensuite une infâme prostituée. Sous sa diabolique influence, il écrivit les Révélations qu’il avait reçues d’elle. [7] Il y a encore aujourd’hui par le monde des gens qui se souviennent d’eux ; on voit de leurs propres disciples et de leurs successeurs. Impossible donc de nier leur tardive apparition. [8] D’ailleurs leurs œuvres elles-mêmes, comme a dit le Seigneur, les condamnent. [9] Si Marcion a séparé le Nouveau Testament de l’Ancien, il est donc postérieur à ce qu’il a séparé, car il n’eût pu les séparer s’ils n’avaient constitué un tout. [10] Ce fait qu’ils formaient un tout avant d’être séparés, puis qu’ils ont été séparés, prouve que celui qui les a séparés était postérieur à eux. [11] De même Valentin, en interprétant à sa manière les Écritures ‘et en les corrigeant sans hésiter, sous prétexte que ce qu’il corrige était auparavant corrompu, démontre qu’elles ne sont pas de lui’.

[12] Nous nommons ceux-là parce qu’ils sont les corrupteurs de la vérité les plus notoires et les plus souvent cités. [13] Il y a encore un certain Nigidius, et Hermogène, et beaucoup d’autres qui s’en vont pervertissant les voies du Seigneur. Qu’ils me montrent donc de quoi ils s’autorisent pour se mettre en avant. [14] Si c’est un autre Dieu qu’ils prêchent, comment emploient-ils les choses, les Ecritures, les noms de ce Dieu contre lequel ils prêchent ? Si c’est le même Dieu, pourquoi le prêchent-ils d’une autre manière ? [15] Qu’ils prouvent qu’ils sont de nouveaux apôtres, qu’ils disent que le Christ est descendu une seconde fois, qu’il a de nouveau enseigné lui-même, qu’il a été de nouveau crucifié, qu’il est mort encore une fois, qu’il a été ressuscité encore une fois. [16] Quand Dieu envoie des apôtres, il leur donne aussi d’ordinaire le pouvoir d’opérer les mêmes prodiges que lui-même. [17] Je veux donc qu’on me montre les prodiges accomplis par eux ; au surplus, je reconnais le pouvoir merveilleux par où ils imitent en mal les apôtres : ceux-ci rendaient la vie aux morts, ceux-là donnent la mort aux vivants.

Parabole de l’ivraie et du bon graine.   XXXI. [1] Mais après cette digression, je reviens à notre discussion sur la priorité du vrai et la postériorite du mensonge. Nous en pouvons trouver encore une preuve dans la parabole qui montre le bon grain de froment semé d’abord par le Seigneur ; puis ensuite le diable, ennemi de Dieu, venant tout gâter après coup en y mêlant l’ivraie, herbe stérile. [2] Cette image figure nettement la différence des doctrines, car en un autre endroit la parole de Dieu est comparée à la semence. [3] L’ordre des temps montre donc que ce qui a la priorité est vérité venue du Seigneur, et que ce qui est introduit postérieurement est fausseté étrangère. [4] Tel est le principe qu’on doit maintenir contre toutes les hérésies postérieures, qui ne peuvent avoir ‘aucune assurance de leur conviction’ pour revendiquer la vérité.

Apostolicité des origines et successions apostoliques.   XXXII. [1] D’ailleurs, si quelques-unes osent se rattacher à l’âge apostolique pour paraître transmises par les apôtres, sous prétexte qu’elles existaient à l’époque des apôtres, nous sommes en droit de leur dire : « Montrez l’origine de vos Églises; déroulez la série de vos évêques se succédant depuis l’origine, de telle manière que le premier évêque ait eu comme garant et prédécesseur l’un des apôtres ou l’un des hommes apostoliques restés jusqu’au bout en communion avec les apôtres. » [2] Car c’est ainsi que les Églises apostoliques présentent leurs fastes. Par exemple, l’Église de Smyrne rapporte que Polycarpe fut installé par Jean; l’Église de Rome montre que Clément a été ordonné par Pierre. [3] De même encore, d’une façon générale, les autres Églises exhibent les noms de ceux qui, établis par les apôtres dans l’épiscopat, possèdent la bouture de la semence apostolique.

[4] Que les hérétiques inventent quelque chose de semblable ! Après tant de blasphèmes, tout ne leur est-il pas permis ? [5] Mais leurs inventions n’aboutiront à rien ; car leur doctrine, rapprochée de celle des apôtres, manifestera par sa diversité et ses contradictions qu’elle n’a pour auteur ni un apôtre, ni un homme apostolique. De même que les apôtres n’auraient pas enseigné des choses différentes les unes des autres, de même les hommes apostoliques n’auraient pas annoncé une doctrine contraire à celle des apôtres, à moins que, par hasard, ceux que les apôtres ont instruits n’aient prêché autrement qu’eux. [6] Voilà la preuve où les convieront avec défi ces Églises qui — sans pouvoir rapporter leur fondation à un apôtre ou à un homme apostolique, comme étant de beaucoup postérieures, et celles qui sont quotidiennement établies — conspirent pourtant toutes dans la même foi, et en vertu de cette consanguinité de doctrine sont considérées tout de même comme apostoliques.

[7] Donc que toutes les hérésies, sommées par nos Églises de fournir cette double preuve, manifestent les raisons qu’elles ont de se dire apostoliques ! [8] Mais elles ne le sont pas, et elles ne peuvent non plus prouver qu’elles sont ce qu’elles ne sont pas : aussi les Églises qui sont apostoliques de quelque manière ne les reçoivent-elles sous aucun prétexte dans la paix et la communion, vu qu’en raison de la divergence de leur doctrine, elles ne sont en aucune façon apostoliques.

Les hérésies des temps apostoliques et les hérésies contemporaines.   XXXIII. [1] J’ajoute par surcroît une revue de leurs doctrines elles-mêmes, qui existèrent au temps des apôtres et furent par ces mêmes apôtres signalées et condamnées.  [2] Il sera plus facile ainsi de les flétrir, si elles sont convaincues ou bien d’avoir existé dès lors ou d’avoir tiré leur origine des hérésies qui dès lors existèrent.

[3] Dans la première aux Corinthiens, Paul censure ceux qui niaient et révoquaient en doute la résurrection : c’était l’opinion particulière des Sadducéens. [4] Y participent Marcion, Apelle, Valentin et tous ceux qui repoussent la résurrection de la chair. [5] Quand il écrit aux Galates, il s’élève contre ceux qui pratiquent ou défendent la circoncision et la loi : c’est l’hérésie d’Hébion. [6] Instruisant Timothée, il censure ceux qui interdisent le mariage : telle est la doctrine de Marcion et d’Apelle, son disciple. [7] Il reprend également ceux qui prétendaient que la résurrection était déjà faite : c’est ce que les valentiniens affirment d’eux-mêmes. [8] Lorsqu’il parle de généalogies sans fin, on reconnaît Valentin. Chez celui-ci un éon, je ne sais plus lequel, car il a un nom étrange, et même il en a plusieurs, engendre de sa Grâce le Sens et la Vérité. Ceux-ci en procréent, à leur tour, le Verbe et la Vie, qui engendrent eux-mêmes l’Homme et l’Eglise. De cette première ogdoade d’éons naissent dix autres éons et enfin douze éons avec des noms bizarres, pour compléter cette pure fantasmagorie des trente éons. [9] Le même apôtre, quand il blâme ceux qui sont asservis aux éléments, fait allusion à l’une des idées d’Hermogène qui, imaginant une matière incréée, l’assimile au Dieu incréé et fait d’elle une déesse mère des éléments, en sorte qu’il peut s’asservir à elle puisqu’il l’assimile à Dieu.

[10] Quant à Jean, dans l’Apocalypse, il reçoit l’ordre de châtier ceux qui mangent les viandes consacrées aux idoles et qui commettent des fornications. Il y a maintenant d’autres nicolaïtes : c’est l’hérésie dite des caïnites. [11] Dans une épître, il traite d’antéchrists ceux-là surtout qui niaient que le Christ fût venu dans la chair et qui ne croyaient pas que Jésus fût le fils de Dieu : Marcion s’est approprié la première erreur, Hébion la seconde. [12] La doctrine magique de Simon, qui rendait un culte aux anges, était rangée elle-même parmi les idolâtries et condamnée par l’apôtre Pierre dans la personne de Simon.

XXXIV. [1] Voilà, je pense, les diverses doctrines mensongères qui existaient sous les apôtres, comme les apôtres eux-mêmes nous l’apprennent. [2] Et cependant, parmi tant d’erreurs diverses, nous ne trouvons aucune école qui ait soulevé de controverse sur le Dieu créateur de l’univers. [3] Personne n’a osé supposer un second Dieu. C’était plutôt sur le Fils que sur le Père qu’on hésitait, jusqu’au jour où Marcion imagina, en outre du Créateur, un autre dieu uniquement bon ; [4] où Apelle transforma en créateur, dieu de la loi et d’Israël, je ne sais quel ange glorieux du Dieu supérieur, affirmant qu’il était d’une substance ignée; où Valentin sema ses éons et assigna pour origine au Dieu créateur le péché d’un seul éon.

[5] C’est à eux seuls et à eux tout d’abord qu’a été révélée la vérité sur la divinité. Ils ont naturellement obtenu un plus grand privilège et une grâce plus complète du diable, qui a voulu par rivalité contre Dieu, faire lui-même ce que le Seigneur avait déclaré impossible, en élevant par le poison de sa doctrine les disciples au-dessus du maître. [6] Donc que toutes les hérésies se choisissent le moment où chacune d’elle est apparue : au surplus ce point n’importe guère du moment qu’elles n’ont point la vérité pour elles, et elles ne peuvent l’avoir puisqu’elles n’existaient pas sous les apôtres. [7] Si elles avaient dès lors existé, elles auraient été citées elles aussi, pour être châtiées elles aussi : celles qui ont existé sous les apôtres sont condamnées nommément. [8] Donc, si ce sont les mêmes, encore mal dégrossies à l’époque des apôtres, aujourd’hui plus raffinées, elles portent depuis ce temps-là leur condamnation ; si elles ne leur sont pas identiques, et que, nées postérieurement, elles aient emprunté à ces hérésies telle opinion, du moment qu’elles leur sont associées dans la doctrine, elles le sont nécessairement aussi dans la condamnation : car prévaut ici cette définition susdite de la postériorité, qui veut que, même sans participer à la condamnation, leur seul âge fasse préjuger qu’elles sont d’autant plus adultères que les apôtres ne les nomment même pas. [9] Il est donc encore plus fermement établi que ce sont là ces hérésies dont la venue était alors annoncée.

XXXV. [1] Voilà ‘par quels arguments’ nous sommons et confondons les hérésies, qu’elles soient postérieures aux apôtres ou contemporaines des apôtres, dès lors qu’elles s’écartent de leur enseignement ; qu’elles aient été condamnées par eux en général, qu’elles l’aient été en particulier, dès lors qu’elles ont été condamnées d’avance. Qu’elles osent riposter elles-mêmes en élevant contre notre doctrine des prescriptions de ce genre! [2] Si elles nient que cette doctrine soit la vraie, elles doivent prouver qu’elle aussi est une hérésie, victorieusement réfutée par la même démonstration qui les réfute elles-mêmes, et montrer en même temps où il faut chercher la vérité, puisque c’est un fait qu’elle n’est point chez elles.

[3] Notre doctrine n’est pas postérieure ; bien plus, elle a sur toutes les autres la priorité. Ce sera là la preuve de la vérité, qui partout vient la première. [4] Loin de la condamner, les apôtres la défendent : ce sera là l’indice qu’elle est bien la leur. [5] Celle qu’ils ne condamnent pas, eux qui condamnent toute doctrine étrangère, ils montrent qu’elle est à eux et voilà pourquoi ils la défendent.

Derniers arguments en faveur de l’apostolicité des Églises.   XXXVI. [1] Or donc, voulez-vous exercer plus louablement votre curiosité en l’employant à votre salut ? Parcourez les Eglises apostoliques où les chaires même des apôtres président encore à leur place, où on lit leurs lettres authentiques qui rendent l’écho de leur voix et mettent sous les yeux la figure de chacun d’eux. [2] Êtes-vous tout proche de l’Achaïe : vous avez Corinthe. N’êtes-vous pas loin de la Macédoine : vous avez Philippes ; si vous pouvez aller du côté de l’Asie : vous avez Ephèse ; si vous êtes sur les confins de l’Italie, vous avez Rome, dont l’autorité nous apporte aussi son appui. [3] Heureuse Église ! les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d’une mort pareille à celle de Jean (Baptiste). L’apôtre Jean y est plongé dans l’huile bouillante : il en sort indemne et se voit relégué dans une île.

[4] Voyons ce qu’elle a appris, ce qu’elle a enseigné. Avec les Églises d’Afrique qui lui sont unies, [5] elle ne connaît qu’un seul Dieu créateur de l’univers ; Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, fils du Dieu créateur ; la résurrection de la chair. Elle associe la loi et les prophètes aux écrits évangéliques et apostoliques : c’est là qu’elle puise sa foi. Cette foi, elle la marque avec l’eau, elle la revêt du Saint-Esprit, elle la nourrit de l’eucharistie ; elle exhorte au martyre et n’admet personne à l’encontre de cette doctrine.

[6] Voilà la doctrine, je ne dis plus qui annonçait la venue future des hérésies, mais de laquelle les hérésies sont nées. D’ailleurs elles n’ont plus rien eu de commun avec elle, du jour où elles lui sont devenues hostiles. [7] Du noyau de l’olive, fruit doux, riche et nécessaire, on voit sortir aussi l’âpre olivier sauvage ; du pépin de la figue, si agréable et si délicieux, surgit le figuier sauvage, vide et inutile. [8] Il en est de même des hérésies. Elles proviennent de notre souche, mais ne sont pas de notre famille : nées du germe de la vérité, le mensonge les a rendues sauvages.

Prescription de longue possession ?   XXXVII. [1] S’il est vrai que la vérité doive nous être adjugée en partage, a nous qui marchons dans cette règle que les Eglises nous transmettent après l’avoir reçue des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu, nous étions donc bien fondés à soutenir que les hérétiques ne doivent pas être admis à nous provoquer sur les Ecritures, puisque nous pouvons démontrer, sans le secours des Écritures, qu’ils n’ont rien à voir avec les Ecritures. [2] Etant hérétiques, ils ne peuvent être chrétiens, car ils ne tiennent pas du Christ la doctrine qu’ils suivent de leur propre choix en adoptant ce nom d’hérétiques. [3] N’étant pas chrétiens, ils n’ont aucun droit sur les écrits chrétiens, et ils méritent qu’on leur dise : Qui êtes-vous ? Quand et d’où êtes-vous venus ? Que faites-vous chez moi, vous qui n’êtes pas des miens ? De quel droit, Marcion, fais-tu des coupes dans ma forêt ? D’où le prends-tu, Valentin, pour détourner mes sources ? Qui t’autorise, Apelle, à déplacer mes bornes? [4] Pourquoi, vous autres, venez-vous semer et paître ici arbitrairement ? Ce domaine m’appartient, je le possède d’ancienne date, je le possédais avant vous ; j’ai des pièces authentiques émanant des propriétaires même auxquels le bien a appartenu. [5] C’est moi qui suis l’héritier des apôtres. C’est d’après les dispositions prises par testament, d’après leur fideicommis, d’après l’adjuration qu’ils ont faite que j’en suis possesseur. [6] Quant à vous, ce qui est sûr, c’est qu’ils vous ont toujours déshérités et reniés comme des étrangers, comme des ennemis. [7] Et pourquoi les hérétiques sont-ils pour les apôtres des étrangers et des ennemis, sinon à cause de la divergence de leur doctrine, que chacun d’eux a inventée ou reçue selon son caprice, contre les apôtres ? »

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Cette entrée a été publiée le 10 juillet 2019 par dans Foi Catholique.