+†+Yesus Kristus azu+†+

« Il n’est pour l’âme aliment plus suave que la connaissance de la vérité » (Lactance)

Avertissement au sujet des oeuvres de Louis DUCHESNE

Duchesne in 1911.

Dans plusieurs articles, nous citons Mgr Louis DUCHESNE (1843-1922) qui est cependant à manier avec beaucoup de précautions. Nous tenions à expliquer pourquoi.

Voici le plan de notre étude :

I) Les mérites de DUCHESNE

A) Des mérites reconnus par un de ses principaux adversaires : Mgr Umberto BENIGNI

B) Des talents mal utilisés car pas dans un esprit chrétien

II) Professeur à l’Institut Catholique de Paris, un moderniste faiseur de modernistes

III) La condamnation de ses oeuvres par Rome

A) Histoire ancienne de l’Eglise

B) Traduction commentée du Liber pontifialis

C) Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule

IV) Son mépris pour saint Pie X

V) L’affaire du séminaire de Bergame, infesté par DUCHESNE, que saint Pie X voulait purifier

I) Les mérites de DUCHESNE

A) Des mérites reconnus par un de ses principaux adversaires : Mgr Umberto BENIGNI

Mgr Umberto BENIGNI, historien lui aussi et fondateur du Sodalitium pianum, que l’on ne peut soupçonner de sympathie pour le modernisme, reconnaissait volontiers DUCHESNE fut indubitablement, matériellement, un historien de valeur.

B) Des talents mal utilisés car pas dans un esprit chrétien

En revanche il ne fut pas un grand historien catholique. Du véritable historien il lui manquait le formellement, à savoir la vision surnaturelle et chrétienne de l’histoire (Dom Prosper GUÉRANGER, Le sens chrétien de l’Histoire et Jésus-Christ, roi de l’histoire ; Abbé Jean-Baptiste AUBRY, Cours d’histoire ecclésiastique et théologie de l’histoire de l’Église : tome 1 et tome 2) unie à un esprit de respect pour la tradition ainsi que, salva veritate, pour les traditions ecclésiastiques.

II) Professeur à l’Institut Catholique de Paris, un moderniste faiseur de modernistes

Lorsqu’il était professeur à l’Institut Catholique de Paris (ICP), c’est à sa chaire que vint se former le jeune abbé Alfred LOISY et c’est lui qui le fera nommer professeur dans ce même institut. Défenseur de pointe de la « critique historique » moderne, ils travailleront ensemble pendant près de dix ans. La conception du dogme de l’abbé DUCHESNE était telle que le recteur du Séminaire Saint Sulpice dut interdire à ses élèves d’assister à ses cours. Seul soutien inconditionnel : Mgr Maurice Le SAGE d’HAUTEROCHE d’HULST, recteur de l’ICP, bien qu’il l’appelait « un petit RENAN », lui permit de conserver sa chaire d’histoire ecclésiastique.

III) La condamnation de ses oeuvres par Rome

Ce qui suit est en grande partie inspiré du travail de monsieur l’abbé Francesco RICOSSA, paru dans la revue Sodalitium n°23 (décembre 1990)

A) Histoire ancienne de l’Eglise

Reçu à la très maçonnique Académie Française en 1910, son œuvre d’historien fut condamnée par Rome aussitôt après. Saint Pie X mettra son Histoire ancienne de l’Église à l’Index en le 12 janvier 1912 (pour lire son oeuvre en toute sécurité, voici trois dossiers de réfutation de ses erreurs : ici, ici, et ici).

« L’affaire Duchesne, par son Histoire ancienne de l’Église, est due à l’initiative du Card. De Lai (Révérend Alberto Serafini, chanoine de Saint Pierre, in Romana Beatificationis et Canonizationis servi Dei Raphaelis Merry del Val, Typis polyglottis vaticanis, 1957, p. 148). Elle fut lancée, en août 1910, par une longue campagne de l’Unità Cattolica (Florence), sur l’instigation de S.Pie X lui-même […]. Mgr Maccarrone confirme ces faits et impute au card. Billot « le rôle principal de dénonciateur. » (Emile POULAT, Catholicisme, démocratie et socialisme, Casterman 1977, p. 247. Cf. Mgr MACCARRONE, Mgr. Duchesne et son temps, Paris, de Boccard, et Rome, Ecole Française, 1974, pp.401-494)

Ce furent donc un Saint (Pie X) et un très grand théologien (le Cardinal Louis BILLOT) à qui il revient d’avoir démasqué DUCHESNE et inspiré les condamnations portées par le Cardinal De LAI, à peine publiée l’édition italienne (traduite par les modernistes BUONAIUTI et TURCHI) en 1911.

B) Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule

Saint Pie X condamna sont oeuvre Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule en trois tomes.

C) Traduction commentée du Liber pontifialis

Mgr Charles-Emile FREPPEL voulut déférer sa traduction commentée du Liber pontifialis au Saint-Office car DUCHESNE y défend des “actes erronés des Souverains Pontifes” (Père Emmanuel BARBIER, Histoire du catholicisme libéral, tome III, pages 202 à 206 et tome V, pages 255 à 262).

IV) Son mépris pour saint Pie X

Ce triste personnage ne cachait guère son opinion sur la politique, qu’il estimait un peu naïve, du Pape saint Pie X. Lorsque parut l’encyclique Gravissimo officii munere, à la suite de la séparation de l’Église et de l’État, il déclara malicieusement : « Avez-vous lu la dernière encyclique du Saint-Père, Digitus in oculo (« doigt dans l’œil ») ? » Et toujours à propos de Pie X, qui avait été patriarche de Venise avant de devenir pape : « C’est un gondolier vénitien dans la barque de saint Pierre : il est naturel qu’il la conduise à la gaffe…».

V) L’affaire du séminaire de Bergame, infesté par DUCHESNE, que saint Pie X voulait purifier

L’oeuvre de DUCHESNE était omniprésent dans le diocèse de Bergame, aux mains des modernistes, et saint Pie X lui-même expliqua qu’en dépit de toute l’estime qu’il porte au clergé de Bergame :

« il y a en lui quantité de bois mort et l’Histoire de Duchesne n’a été aussi largement diffusée et appréciée dans aucun autre diocèse. » (Disquisitio, pp. 112, 113)

Le titre complet du document d’où cette citation est tirée est le « Rapport Antonelli », imprimé en 1950 par l’Imprimerie Vaticane sous le titre Disquisitio circa quasdam objectiones modum agendi servi Dei Pii X respicientes in modernismi debellatione cum summario additionali ex officio compilato (Examen de certaines objections concernant la conduite du serviteur de Dieu – Pie X – dans la lutte contre le modernisme…). La « Rapport Antonelli » utilise les déposition faites sous serment au procès canonique pour la béatification de Pie X et les archives des Congrégations Romaines.

Cette édition fut immédiatement interdite dans les séminaires italiens, par une circulaire du Cardinal De LAI (1er septembre 1911) car sa lecture était jugée extrêmement dangereuse et même mortelle, soit à cause des réticences calculées et continues, particulièrement en ce qui concernait le surnaturel, soit pour la façon dont l’auteur parle des martyrs, des Pères de l’Église et des controverses dogmatiques (Acta Apostolicae Sedis, 1911, pp. 568-569). Le Cardinal Rafael MERRY del VAL félicitera en octobre le directeur de la Civiltà Cattolica, au nom de saint Pie X, pour la critique qu’il avait faite de cette œuvre. Et le 22 janvier 1912, les trois volumes publiés figurent au catalogue de l’Index sans distinction d’édition. DUCHESNE se soumit… à la manière de BONOMELLI et de tant d’autres, c’est-à-dire seulement en paroles.

A l’automne 1911, le Père Guido MATTIUSSI, Jésuite (1852-1925), alla séminaire de Bergame. Il y tint deux conférences thomistes et anti-DUCHESNE. L’affaire MATTIUSSI ne tarde pas à soulever des controverses bien au-delà du diocèse de Bergame. L’Unità Cattolica de Florence attaque L’Eco di Bergamo et Mgr Luigi BRESSAN, le secrétaire du pape, envoie une lettre de remerciement à son rédacteur en chef. BRESSAN écrit aussi à MATTIUSSI lui-même, le 7 octobre 1911 :

« Le Saint-Père a noté ce que vous avez dit dans votre lettre du 3 courant. Mais indépendamment même de cette lettre, Sa Sainteté était parfaitement informée et approuve totalement ce que vous avez dit au séminaire de Bergame – elle est très heureuse que vous ayez mis le doigt sur la plaie. Personne n’osera vous demander une rétraction, même pas s’agissant de l’« opportunité » ou non de ce que vous avez dit. La vérité a le droit d’être prêchée toujours et en tout lieu. Ceci vaut aussi pour les commentaires de L’Eco à propos de vos remarques sur la démocratie. Vous pouvez donc être tranquille et rester assuré que tous, quand ils auront pris le temps d’y réfléchir, seront honteux de tout ce tapage et – nous l’espérons – en tireront une leçon. Sa Sainteté vous bénit, etc. » (Utopia, pp. 409.10)

En réalité, tant avant qu’après les condamnations de 1911 et 1912, le DUCHESNE intime (et caché) était bien pire que le DUCHESNE officiel… et démasqué. Déjà en 1889 lorsqu’il était Directeur de l’Ecole Française à Rome, dans une lettre du 2 mars adressée au meneur moderniste le Baron Von HÜGEL, DUCHESNE compare l’Église catholique à l’enfer dantesque où se trouve écrit : « Abandonnez toute espérance ô vous qui entrez » (Emile POULAT, Catholicisme, démocratie et socialisme, Casterman 1977, pp. 219-220). Si tels étaient ses sentiments avant la condamnation de 1911, imaginons-nous quels étaient les suivants !

POULAT nous en donne une illustration, par un florilège de lettres de DUCHESNE :

« Vous n’imaginez pas à quel point les têtes sont montées. L’ignis ardens (Pie X) est déchaîné. Les hypothèses les plus insensées sont les mieux fondées » (6 septembre 1911) [« ignis ardens » est la phrase qui est censée être celle de saint Pie X dans le faux et usage de faux qu’est la Prophétie des Papes du pseudo-saint Malachie]

« Les exaltés triomphent et s’exaltent de plus en plus… Dieu sait comment cela finira. Peut-être avec un autre pape, mais quand ? » (24 octobre 1911)

« Le Pape est si retors, si habitué à entretenir les gens en sécurité jusqu’au moment où il leur donnera le croc-en-jambe… Le cas, cela est sûr, est, depuis longtemps pathologique… Si cela continue, on finira bien par s’en apercevoir. Il n’est pas naturel que l’Église soit indéfiniment sabotée par son chef (6 janvier 1912)

« Le clergé italien et la curie elle-même ont de plus en plus l’air de croire qu’ils sont en présence d’une aventure, d’une invasion du Vatican par une troupe d’irréguliers » (6 janvier 1914)

Parlant de sa mise à l’Index, il utilise même le terme de « fêlure » (3 février 1914), qui est synonyme de schisme (Emile POULAT, Intégrisme et catholicisme intégral, Casterman 1969, p. 602 ; Lettre à Georges GOYAU).

On constatera que DUCHESNE répond ainsi à une caractéristique du modernisme pointée par saint Pie X, à savoir la dissimulation en cas de difficulté, afin de refaire surface plus tard :

« Certes, Nous avions espéré qu’ils se raviseraient quelque jour : et, pour cela, Nous avions usé avec eux d’abord de douceur, comme avec des fils, puis de sévérité : enfin, et bien à contrecoeur, de réprimandes publiques. Vous n’ignorez pas, Vénérables Frères, la stérilité de Nos efforts; ils courbent un moment la tête, pour la relever aussitôt plus orgueilleuse. » (Encyclique Pascendi Dominici Gregis du 8 septembre 1907 – Sur les erreurs du modernisme, n°3)

Le Père Guido MATTIUSSI fut un éminent philosophe et théologien thomiste. Professeur à l’Université Pontificale Grégorienne, il fut choisi par Saint Pie X pour répandre le thomisme parmi les Jésuites alors en grande partie disciples de Suarez, dans la conformité au Motu proprio Doctoris Angelici (29 avril 1914), qui prescrivait dans l’enseignement la doctrine de  saint Thomas d’Aquin. Puisqu’on se demandait alors quels étaient les points saillants et spécifiques de cette doctrine, Saint Pie X confia au Père MATTIUSSI la charge d’en établir une liste qui devint celle des « Vingt-quatre thèses de la philosophie de S. Thomas », approuvées par la Sacrée Congrégation des Études le 27 juillet 1914 et définies par la même Congrégation comme « normes directives sûres » (7 mars 1916). Tant était grande l’estime de Saint Pie X pour le Père MATTIUSSI que le Pape pense à lui pour assainir la Compagnie de Jésus dont le Général, le Père WERNZ, et son assistant (et futur général), le Père LEDOCHOWSKI, étaient « indexés » parce qu’ils protégeaient les jésuites modernisants – au point de vouloir destituer Wernz pour le remplacer par MATTIUSSI (Disquisitio, pp. 10-11 ; Père G. SOMMAVILLA, SJ, La Compagnia di Gesù, Rizzoli, Milano 1985, p. 225 ; Histoire de l’Église, dirigée par Hubert JEDIN, éd. Jaca Book, Milano 1973, Vol. IX p.576 ; G. CASSIANI-IGNONI, Vie du P.W.Ledochowski, Rome 1945, pp. 71 et 73). Malheureusement Saint Pie X mourut (le même jour mourut WERNZ) sans avoir pu mener à terme son projet. Voilà ce qu’était le Père MATTIUSSI pour un Saint, le pape Pie X.

Saint Pie X intervient lui-même le 10 décembre 1911, avec une lettre personnelle à l’archevêque de Florence, MISTRANGELO. Il lui écrit parce que L’Unità Cattolica, le journal préféré du pape, paraît dans son diocèse. Saint Pie X dénigre L’Eco di Bergamo, feuille de chou dont il n’y a pas lieu d’être fier, et explique qu’en dépit de toute l’estime qu’il porte au clergé de Bergame, « il y a en lui quantité de bois mort et l’Histoire de Duchesne n’a été aussi largement diffusée et appréciée dans aucun autre diocèse ». (Disquisitio, pp. 112.13 ). Il s’en prend à l’évêque de Bergame à qui il reproche sa « modération » (HEBBLETHWAITE, Jean XXIII. Le Pape du Concile, éd. du Centurion 1988, pp.83-86 avec d’amples citations tirées de « Dixième anniversaire de la mort du Pape Jean » par Louis F. CAPOVILLA, éd. Storia e Letteratura, 1973).

L’épisode se conclut ainsi :

« Le Cardinal Ferrari s’arrange pour faire partir le Père Mattiussi, S.J., de Milan. Le Vatican y voit une nouvelle preuve du manque d’orthodoxie de Ferrari. La récompense de Mattiussi sera la chaire de Billot, à l’Université Grégorienne  » (HEBBLETHWAITE, Jean XXIII. Le Pape du Concile, éd. du Centurion 1988, p.87)

Voici un tableau qui résume l’affaire :

1er septembre 1911 L’œuvre de DUCHESNE est prohibée dans les séminaires italiens.
Automne 1911 Deux conférences du Père Guido MATTIUSSI, Jésuite (1852-1925), au séminaire de Bergame. Le Père attaque DUCHESNE. Nous renvoyons à ce que nous avons dit plus haut sur les approbations de Saint Pie X envers l’oeuvre du Père MATTIUSSI en général, et son action à Bergame en particulier.
7 octobre et 10 décembre 1911 Saint Pie X prend le parti du Père MATTIUSSI contre L’Eco di Bergamo  et DUCHESNE.